14 janvier 2007

Avant de s'en prendre au reste du monde, Chirac, devrait balayer devant sa porte. On se souvient, en décembre dernier (lire notre article : Chirac débloque), de l'annonce de la conférence internationale organisée par la France pour aborder la création d'un énième organisme pour l'environnement. Or justement, l'un des organismes existant, l'UICN (Union Mondiale pour la Nature) vient de publier un communiqué affligeant, témoin de la façon dont le centralisme parisien traite ses colonies : Les financements publics outre-mer ignorent largement les enjeux écologiques.

Communiqué du 11 décembre, Union Mondiale pour la Nature (UICN)

Selon une vaste étude menée sur deux ans par le Comité français de l’UICN (Union mondiale pour la nature), les financements publics dont bénéficie l’outre-mer n’intègrent pas suffisamment les enjeux écologiques. Le constat général est très décevant. Loin des ambitions politiques affichées, les efforts en matière de protection de la biodiversité et de gestion durable des écosystèmes restent très insuffisants. Il existe toutefois de nombreuses pistes pour améliorer cette situation.

Le Comité français de l’UICN vient de publier un rapport sans précédent intitulé « Financements publics et biodiversité en outre-mer : quelle ambition pour le développement durable ? ». Cette étude analyse pour la première fois, sous l’angle de la biodiversité, l’ensemble des financements nationaux et européens consacrés à l’outre-mer, ainsi que la défiscalisation. Elle montre que la protection et la gestion de la biodiversité sont peu traitées dans les dispositifs financiers et fiscaux applicables aux collectivités françaises d’outre-mer. Elles n’en constituent pas un critère d’allocation et ne bénéficient que de sommes très modiques.

En dépit des efforts engagés en matière de patrimoine naturel en outre-mer (projets de Parcs Nationaux et de Réserves Naturelles, plans d’action de la Stratégie Nationale pour la Biodiversité, etc.), les financements publics continuent à encourager des modèles de développement en décalage avec les enjeux de développement durable des collectivités d’outre-mer. Dans toutes les îles d’outremer comme en Guyane française, la préservation des milieux naturels est pourtant cruciale tant pour l’activité économique que pour l’identité culturelle de ces territoires. De plus, le réchauffement climatique rend la protection des écosystèmes terrestres et marins essentielle pour la sécurité même des populations. Une prise de conscience s’opère à travers tout l’outre-mer depuis quelques années, mais il faut maintenant la traduire concrètement par des moyens financiers mieux employés.

La biodiversité, arlésienne des financements publics outre-mer

Dans ses grandes orientations, le budget du Ministère de l’Outre-mer n’intègre ni le développement durable ni l’environnement. Le budget du Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable est pour sa part très minoritaire dans l’ensemble des crédits ministériels bénéficiant aux collectivités d’outre-mer.

Les collectivités d’outre-mer reçoivent d’importants concours financiers nationaux et européens, ainsi que des avantages fiscaux. Cependant, la protection des espèces et des écosystèmes ne figure presque jamais dans les financements publics, qui privilégient avant tout l’aménagement et n’abordent l’environnement que sous l’angle sécuritaire (catastrophes naturelles) ou sanitaire (gestion des déchets et de l’eau). Ces politiques sont importantes mais ne suffisent pas à préparer l’avenir écologique de l’outre-mer. Elles doivent s’accompagner de politiques ambitieuses pour la protection ou la restauration des services rendus par les écosystèmes.

Le patrimoine naturel, domaine non stratégique

Les contrats de plan Etat-Région des DOM et les Conventions Etat-Collectivités d’outre-mer ne font pas de la protection de la biodiversité un axe stratégique. Les sommes contractualisées vont encore très majoritairement à des projets d’infrastructure et d’aménagement qui ignorent le patrimoine naturel et n’apportent pas de réponse aux problèmes posés par le changement climatique et la raréfaction des ressources naturelles.

Une absence de conditionnalité écologique

Les mesures de défiscalisation n’intègrent pas la dimension environnementale des projets. Des avantages financiers importants sont ainsi accordés à des activités ayant de lourdes conséquences environnementales. La réalité des coûts environnementaux et sociaux n’est donc pas prise en compte.

Des pistes pour l’avenir

Prenant en compte les impératifs de développement de l’outre-mer, l’étude démontre que l’utilisation et les orientations des financements doivent être changées au profit d’un développement durable et d’une vision cohérente de l’avenir qui s’appuient sur les vrais atouts de l’outre-mer. Des propositions détaillées sont présentées dans le rapport, qui est actuellement adressé à tous les principaux responsables politiques concernés au niveau national, local et européen.

Parmi les idées proposées :

- Faire de la biodiversité d’outre-mer une mission à part entière du budget de l’Etat, partagée et abondée par différents ministères,

- Hisser la biodiversité au rang d’axe stratégique des contrats Etat-Collectivité et des fonds structurels européens,

- Créer un mécanisme financier dédié aux petits projets de préservation de la biodiversité outre-mer, notamment associatifs, - Renforcer les critères écologiques et le contrôle des agréments en défiscalisation,

- Développer une fiscalité écologique spécifiquement adaptée aux enjeux d’outre-mer,

- Conditionner le versement des fonds publics au respect des normes écologiques nationales ou européennes les plus élevées,

- Faire de la biodiversité un véritable avantage comparatif de l’outre-mer en investissant massivement dans la recherche, la gestion et la valorisation des écosystèmes, qui sous-tendent de très nombreuses activités économiques et sociales à travers tout l’outre-mer.